En regardant l'océan on peut y voir des vagues comme celles-ci.

En regardant l’océan

Noah ferme les portes de sa maison pour la dernière fois, en regardant l’océan
À 17h, il quittera définitivement l’île devenue désertique. Il admire au loin la mer qui s’étire au soleil de midi.

C’est bientôt la saison des litchis. Il ne sait pas pourquoi, mais c’est à ça qu’il pense en franchissant le portail de son domicile. La serrure résiste un peu à ses mains usées par le temps, alors il doit s’y reprendre plusieurs fois.

Depuis 20 ans, son « beau pays » s’est vidé de ses habitants. Abandonné du progrès. Délaissé aussi de la prospérité.

Cela fait des années que plus aucun poisson n’a été aperçu dans cette zone du monde. Dès lors, privés de ressources, les pêcheurs puis les autres, tous les autres, ont été contraints de partir. Des algues immenses ont pris possession des flots. La mer jadis azur est verte et brune de toute part. Elle empeste une odeur de décomposition de moins en moins supportable. Cet air nauséabond envahit les terres rendant l’atmosphère irrespirable.

Il paraît qu’il existe des endroits qui ne suffoquent pas encore quelque part dans le Pacifique. Noah les a vus dans ses capsules inédites du cours de sciences écologiques de son petit-fils Igor qui réside en métropole. Il se réjouit de le retrouver bientôt, lui qui a pourtant résisté jusqu’à la fin. C’est d’ailleurs la seule consolation qu’il retire de cette situation ; revoir ses enfants et ses petits-enfants, expatriés depuis longtemps.

Sa mission est terminée, plus aucune personne ne se trouve sur cette partie du monde qui va prochainement être classée comme « patrimoine historique de la destruction écologique de la planète ». De ce fait, Noah espère qu’il n’a oublié personne. Il en est presque certain. Il n’ignore pas que dans certaines zones reculées, des rebelles avaient fermement décidé de ne pas partir. Mais il a réussi à les déloger. Méthodiquement, il a tout fouillé avec ses détecteurs ultras modernes qui lui ont demandé presque cinq mois de formation. Finalement, était-ce bien raisonnable tout ça à son âge ?

En avançant sous la chaleur torride, Noah se remémore alors son grand-père qui lui racontait ses histoires du début du siècle. Des récits lointains de cette période où les habitants se battaient pour savoir qui des pêcheurs et des défenseurs des océans avaient raison concernant la question des requins. Cela, pendant que les surfeurs s’en donnaient à cœur joie fendant les rouleaux parfois au péril de leur vie. Des requins, le vieil homme n’en a vu que sur de vieux clichés d’époque. Il n’a d’ailleurs jamais su s’il fallait en avoir peur.

En regardant l’océan, Noah affiche un sourire triste. Aujourd’hui il sait que l’aveuglement de certains a eu raison du combat des autres et que, dès la disparition des requins, l’océan est mort… lentement. 

Hélène

Photo by Anastasia Taioglou